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5- Entretien sur la mutation

LE MONDE EN MUTATION

 

 

5- Entretien sur la mutation

Voici des extraits d’une interview de Jean-Claude Guillebaud, écrivain et journaliste, publié par La Croix, le 17 Aout 2006. Cet écrivain exprime, avec des exemples actuels, le même souci que celui de Marc Rohrbach, en 1970 ( voir « Le monde en mutation »).

L’un des domaines explorés par les chercheurs , est le comportement animal ( éthologie), et ce qu’ils en comprennent ébranlent nos certitudes sur la frontière entre l’homme et l’animal. Nous nous découvrons infiniment plus proches des animaux que nous ne l’avions cru pendant des siècles… Par ailleurs , l’intelligence artificielle brouille la frontière entre l’humain et la machine. Enfin, l’immense question concernant la commercialisation du vivant conduit à déplacer la frontière entre l’humain et la « chose », l’objet… Aussi avons-nous de plus en plus de mal à définir ce qui constitue l’humain et l’humanité…

Que ce soit sur le terrain de l’économie ( la mondialisation), celui de la révolution numérique ou de la biologie, nous vivons des changements dont on n’a pas encore mesuré la portée. Le philosophe Michel Serres y voit à juste titre une « révolution » aussi importante que celle d’il y a douze mille ans,qui nous a fait passer du paléolithique au néolithique. Or cette incroyable « bifurcation » de l’aventure humaine est porteuse d’autant de promesses que de menaces. La question essentielle est donc : saurons-nous garder le contrôle de ce qui nous arrive, ou bien serons-nous emportés par un mouvement devenu « hors contrôle » ?… Je crois que c’est aujourd’hui le risque majeur. La course folle, la fuite en avant, le rôle déterminant des processus mécaniques qui font fi de la volonté humaine. C’est vrai pour la mondialisation que plus personne ne maîtrise ; c’est également vrai pour les technosciences qui, pourrait-on dire, avancent toutes seules, et invitent les humains à courir derrière elles. Cette dépossession insidieuse est en train de remettre en cause la démocratie elle-même, c’est-à-dire la possibilité pour les hommes de « choisir » leur avenir…

Nous vivons des temps où il y a à la fois un effondrement et un surgissement, une destruction et une re-naissance…L’effondrement du vieux monde nous plonge dans le désarroi et l’inquiétude, alors que nous avons du mal à discerner le surgissement, la re-naissance. Il est de notre responsabilité que cette dernière l’emporte sur la destruction. La question de l’espérance agissante n’a donc jamais été aussi centrale qu’aujourd’hui… La mutation contemporaine est bien plus décisive encore que la fin de l’Empire romain au Vème siècle, à la Renaissance mille ans plus tard, ou au Siècle des Lumières. Elle touche cette fois aux fondements mêmes de l’aventure humaine. Elle concerne en profondeur, notre façon de penser le monde et l’humanité de l’homme…

Heureusement dans tous les domaines, je constate une vitalité, une fécondité extraordinaire de la réflexion…des milliers d’intellectuels sur la planète travaillent avec acharnement à « penser le nouveau monde » qui surgit devant nous…les comités d’éthique jouent un rôle essentiel… Nous avons pour l’instant du mal à penser le changement parce que ce dernier a été si rapide que nous n’avons pas eu le temps de forger les concepts qui permettraient de rendre déchiffrable, lisible, la réalité nouvelle. Pour le moment, on dirait que les changements ont été plus vite que la pensée. C’est ce retard qu’il s’agit de combler pour que le nouveau monde redevienne « pensable ». Pour le moment, soyons honnêtes, il est encore largement « impensé »….

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